Une alliance importante

Alliance française


Dans les années 60 du siècle précédent, une fulgurante étoile filante a brusquement illuminé le somnolent paysage pipier et l’a changé à tout jamais. Sans conteste, le légendaire Sixten Ivarsson a déclenché une double révolution : non seulement a-t-il métamorphosé la physionomie de la pipe et chamboulé et enrichi ainsi les canons de beauté, il se trouve également à l’origine d’un phénomène qui semble irréversible : avec Sixten la pipe haut de gamme s’est transformée en une pièce unique taillée et parachevée non pas par une équipe d’ouvriers anonymes, mais par un individu dont le savoir-faire et donc la réputation constituent une garantie de qualité.
Alors que la Scandinavie préivarssonnienne ne jouissait nullement d’une renommée internationale, soudain la Suède et surtout le Danemark sont devenus le centre incontesté de l’univers de la high grade. En effet, en quelques années seulement, ces pays ont produit ce qui semblait une suite interminable de pipiers-phares. La formule de cet éblouissant succès était aussi simple qu’efficace : de jeunes aspirants-pipiers apprenaient le métier dans les ateliers de leurs aînés et les pipiers établis, plutôt que se considérer comme des concurrents, collaboraient ensemble.
Si pendant plusieurs décennies, deux générations successives de pipiers scandinaves ont dominé le marché de la pipe haut de gamme, plus récemment nous avons assisté à une véritable globalisation : désormais des centaines de pipiers allemands, américains, japonais et russes se partagent avec les Scandinaves le marché de la pièce unique pour collectionneurs et connaisseurs passionnés. Quel est le secret de cette si subite et incessante éclosion de talents ? Rien de nouveau : encore et toujours la collaboration, d’une part entre artisans chevronnés et jeunes loups, d’autre part entre pipiers de la même génération.
Et la France dans tout ça ? Malgré son passé de capitale de la pipe, Saint-Claude, le nombril de la production pipière française, semble avoir raté le coche. Contrairement à tous ces pays qui en un temps record sont devenus de véritables viviers de nouveaux talents, la France pipière se meurt à petit feu : d’une part la pipe dite industrielle a du plomb dans l’aile et d’autre part celle dite artisanale y demeure un phénomène fort marginal. D’accord, ici et là le flambeau d’une marque a été repris par un jeune, mais on ne peut pas dire qu’ils jouent dans la même division que tous ces artisans haut de gamme scandinaves, allemands, américains, japonais ou russes. A vrai dire, il n’y a que deux Français capables de produire de A à Z une panoplie de formes de pipes dont l’esthétique et la qualité d’exécution peuvent rivaliser avec la concurrence internationale. J’ai nommé le monstre sacré de la pipe française, l’incontournable Pierre Morel, et David Enrique, le seul et l’unique jeune Turc français capable d’intéresser une clientèle internationale de pipophiles exigeants.
C’est donc avec un immense plaisir que je peux vous annoncer que ces deux porte-drapeaux de la pipe haut de gamme française se sont décidés à réunir leurs efforts et à collaborer. Depuis quelque temps, le maître sanclaudien et l’artisan établi dans les Vosges communiquent, se consultent, partagent leur expérience et leur savoir-faire. Pour notre plus grand bonheur. Voici donc les toutes premières pipes signées Morel - Enrique. En ce moment il s’agit de modèles taillés et montés par Pierre Morel et finis par David Enrique, mais les deux pipiers ont la ferme intention d’intensifier à l’avenir leur collaboration qui pourra alors prendre des formes insoupçonnées aujourd’hui, telles des designs créés en commun.
Il va de soi que cette alliance entre celui qui incarne la grande tradition sanclaudienne et celui qui constitue l’espoir de la pipe artisanale française, ne peut qu’être bénéfique. Pour eux deux, évidemment, mais aussi et surtout pour nous, épris de belles et bonnes pipes. Et qui sait, peut-être que bientôt le tandem Morel & Enrique sera aussi acclamé que des duos tels Per & Ulf ou Vollmer & Nilsson.

Erwin Van Hove (11/11/2010)

Arthur a écrit:Tiens, c’est quoi un Turc français ?