pipe saint claude sans marque??

Oh là, fillot, tu rentres là dans les arcanes de l'histoire, du temps où, dans toute la vallée, le moindre foyer, avait pour activité principale ou secondaire une occupation en rapport avec la pipe. Non seulement il y avait les fabriques, regroupant la quasi totalité des opérations au sein d'une même entreprise, mais il y avait aussi, conjointement, non seulement des activités spécifiques comme le décolletage des bagues, l'ébonite (fabrication des tuyaux), la corne (les tuyaux là encore), le sablage (les frères Gabet sablaient pour toute la vallée) mais encore un tas d'activités élémentaires pratiquées "au foyer" ou dans de petites entreprises spécialisées par bon nombre de gens.

Ébaucheurs, monteurs, rustiqueurs, mastiqueuses, polisseuses . . . prenaient du travail à façon auprès de tout un tas de gens. Il n'était pas rare qu'une partie du paiement se fasse en nature, le plus souvent avec du second choix que les marques rechignaient à signer, ces pipes, une fois finies, passaient dans les réseaux de distribution, et étaient vendues à moindre coût. Les marques elles-même, mettaient en vente une partie de leur production, là encore de second choix, sans les signer autrement que par l'appellation Saint Claude ou Bruyère Saint Claude.

Pour les belles, voire les très belles, sans marquage, il est à savoir que la dernière opération réalisée, juste au moment de l'expédition, sur une pipe est son marquage. Une pipe, de grande qualité, qui ne serait pas marquée n'est, nécessairement, pas passée par le comptoir d'expédition, selon toute probabilité, elle sera sortie de la fabrique par l'entrée du personnel . . .
Celà ne veut pas dire que toutes les belles pipes sans marquage aient suivi ce chemin. Il nous arrive à tous, lors du verrage d'une pipe à l’occasion d'un changement de tuyau ou d'une rénovation plus complète d'être amenés à effacer le marquage.

Il y a beau jeu que le monde de la pipe est en déliquescence et les fabriques ont fermé les unes après les autres. Les marques ont été rachetées, le plus souvent, les stocks aussi, pas toujours par les mêmes personnes. Il est peu de maisons à Saint Claude ou aux entours qui n'aient pas eu au moins un carton de rogatons à la cave ou dans le grenier. Des pipes ressortent régulièrement, d'on ne sait où, faisant le bonheur de tel ou tel fumeur ou collectionneur. Bien évidemment ça s'amenuise avec le temps.

Quant-aux pratiques actuelles, il ne reste que quelques marques et deux fabriques plus quelques artisans indépendants dans tout le pays, les pipes marquées Saint Claude ou Bruyère Saint Claude sont toujours des pipes de second choix que les marques ne veulent pas signer . . .

Il est par contre à craindre que celles qui seraient fabriquées de nos jours et qui ne porteraient aucune ces appellations ne fussent fabriquées ailleurs et avec d'autres critères de fabrication . . .

Le tri et le classement des bois est un sujet qui mène à controverse sur bien des forums tant il est vrai que les classifications sont pour le moins surprenantes, voire déconcertantes selon les marques au fil du temps.

Toujours est-il que les têtes pipes font l'objet d'un tri tout au long de la fabrication afin de rebuter les pièces totalement défectueuses puis d'un tri en fin de fabrication afin de déterminer le type de montage et de finition qui leur sera destiné.

Une tête chargée de nombreux défauts sera rustiquée, voire mastiquée puis rustiquée et recouverte d'une teinte opaque ou foncée.

Une tête chargée de quelques défauts sera mastiquée puis teintée en foncé de manière à les masquer.

Une tête sans défaut mais dotée d'un bois sans grâce sera peinte, vernissée ou teintée en foncé.

Une tête chargée de quelques défauts mais dotée d'un bois élégant sera sablée de manière à les masquer tout en mettant le bois en valeur.

Une tête sans défaut et dotée d'un bois élégant sera teintée clair de manière à mettre le veinage en valeur.

Un strait-grain pourra également être sablée si le grain parait suffisamment large pour faire apparaître de beaux rings.

Bien sûr, les tête les moins belles seront dotées des finitions les moins luxueuses et, à contrario, les plus belles têtes feront l'objet de traitements spécifiques permettant d'en tirer le meilleur profit.

Le gout du beau a toujours existé, toutefois, les ébauchons, souvent taillés et bouillis en Algérie, au Maroc puis en Corse, calibrés, ne laissaient pas une grande marge de manœuvre au niveau du positionnement. Pour la plupart, il étaient taillés en cross-grain et en cette période de fabrication de masse les beaux bois ne représentaient que quelques pour cent de la production. D'où l'intérêt de bien les mettre en valeur afin de les vendre auprès des revendeurs les plus réputés à destination d'une clientèle bourgeoise.

Les anciens avaient même pour habitude de conserver précieusement les pièces aux bois les plus beaux, comme poire pour la soif, en cas de coup dur, ils savaient où trouver le riche collectionneur prêt à débourser une fortune pour une pièce d'exception.

Quant-aux formes, tu n'imagines même pas l'imagination dont les anciens ont pu faire preuve, loin de dormir sur leurs lauriers, ils innovaient sans cesse et si les formes les plus classiques et les moins tape à l’œil faisaient la base du marché d'une clientèle des plus frileuses, le meilleur comme le pire se rejoignaient dans leurs digressions fertiles. Il suffit de passer quelques heures avec Pierre ou avec Jacky CRAEN pour s'en convaincre, l'innovation était permanente et ne se cantonnait pas à l'aspect esthétique.

De nos jours, la production de masse est passée de mode, la pipe est un objet auquel on prête de la valeur et nombre de fumeurs sont prêts à y investir de l'argent. Selon les séries, le bois est trié avec soin de manière à garantir une qualité finale correspondant aux attentes d'une clientèle de plus en plus exigeante et il est fréquent, que l'on ait recours à des plateaux pour réaliser les séries de pipes les plus luxueuses.