Les tabacs mystère de Gonzague

Sur le Tasse-Braises on est plus ou moins une bande de copains, on peut raconter sa vie.

Ce jour-là il faisait bon, alors je suis allé me promener pour déjeuner, évitant l'atmosphère lourde du restaurant d'entreprise (ou R.I.E. pour faire plus classe... ou plus ringard). Moi, je préfère avoir les chaussures sales et sentir l'humus que passer une heure à la lumière des néons, oxygéné à l'air conditionné, entouré par ces formes assises derrière leurs plateaux comme derrière leurs écrans.

Et puis j'ai gueulé ce matin. J'aime bien la bêtise humaine, toujours touchante et amusante, mais pas la connerie froide, sourde et organisée des procédures en entreprise, alors maintenant je m'assure que les chefs hésitent avant de proposer la mise en place de bidules chronophages et inappropriés pour faire les malins devant leur hiérarchie. Et ça marche 

J'ai mon petit chemin habituel, je passe devant les manouches avec leurs poules et les deux poneys, puis je devant la maison aux chèvres naines, et sur la droite, je retrouve mon petit coin. Ni très joli ni très champêtre, trop près de la route et des habitations, mais il y a peu de passage. C'est là que viens travailler l'harmonica - j'imagine que les rives urbanisées du Mississippi ne devaient pas être tellement plus jolies...

Bien, qu'est-ce que j'ai dans ma sacoche ? Deux échantillons mystère, l'un en flakes et l'autre émietté. Deux aromatiques, ils sentent bon ; je commence par le premier par souci d'ordre. Je n'ai pas été un très bon élève, alors je me rattrape maintenant par quelques excès de zèle.

Le temps de regarder un canard passer et de surprendre un crapaud, et c'est parti avec ma Jeantet et ma Sport (j'ai essayé le tabac dans deux pipes différentes, pour la science heing).

Le mélange n°1 est le mélange en flakes. Peut-être bien artisanal, car il se détache très (trop?) facilement en flocons.

Ah, souvenirs de Black Cavendish. J'ai beau ne plus en fumer, il reste toujours de bons souvenirs des débuts. Il y en a, du Black Cavendish, mais le goût qui prédomine cependant, c'est celui, assez particulier, de ces fleurs, goût qui me rappelle certains Samuel Gawith, probablement encore une histoire de tabacs du Lakeland.

Plus étonnant, à un court moment un rien de menthe est venu poindre le bout de son nez, ainsi qu'un arôme de toffee, qui s'est manifesté plutôt dans la seconde pipe. Lakeland, toffee, menthe : il y a de l'Angleterre là-dedans, ça évoque le bruit sourd de la pluie sur des maisons en brique moche et les parapluies devant la National Gallery. Oui, je sais, c'est réducteur mais pour moi c'est un peu ça, l'Angleterre.

Fait cocasse, je me suis acheté une galette industrielle à la composition flippante ce matin. Elle avant une sorte de goût d'amande qui n'en était pas, un bel arôme de synthèse bien crade. Pas dégueu à manger, hein, mais on sent bien les produits toxiques qui rentrent... eh ben j'ai aussi retrouvé ça dans le tabac, le truc à l'amande industrielle. Bon. Avec un rien de citronné aussi, qui se mêle aux fleurs.

Par moments, on retombe sur quelque chose des bons tabacs masculins. A peine mais un peu. Je ne sais pas d'où ça vient. C'est étonnant, bienvenu et parfaitement délicieux dans le contexte.

Et puis comme tous les aros, ça évolue pas beaucoup, sauf en âcreté. Et encore là ça va. On reste dans du fumable jusqu'au dernier brin.

Tiens ! Les abeilles sont sorties, ça fait plaisir. Les fourmis aussi, ça fait moins plaisir.
Il y a un arbre, arraché à faire pleurer Idéfix, qui plonge dans la rivière. Du néant, je devine un petit animal passant sur l'arbre en courant. C'est quoi ? J'attends. Il repasse : c'est une petite loutre ! Tournant la tête vers ce qui l'a effrayée, je découvre le plus beau renard que j'ai pu voir d'aussi près. Autour de moi et dans les arbres, des bruits d'oiseaux invisibles ne laissent pas une seule seconde de silence.

Je note les sons pour le plaisir : il y a du crôa, du houuu, du wituwi, kwè kwè, wututu, woâp (c'est quoi ce truc ?), toc-toc, grôôô (bizarre...), et je ne m'arrête que lorsqu'un brave promeneur vient avec sa sale carpette blanchâtre effrayer tout ce beau monde.

C'est un calvitique avec un jean pas beau et un t-shirt moche, l'air sympathique, une cigarette électronique autour du cou. Nous nous saluons. Il est temps de rentrer au boulot.

Avant de finir il faut que je parle quand même du second tabac. Il sent le caramel. C'est un aro au caramel, ou je sais pas trop mais quelque chose comme ça. Avec un peu de floral quand même. Trop saucé pour évoluer assez. Caramel, sucre, caramel... bon. La fin est un peu difficile. Un aro susucre un peu chiant quoi.

Sur le chemin du retour, j'ai pensé à mon renard et au restaurant d'entreprise. Comment se fait-il que nous allions nous entasser comme des moutons en clapier dans ces bâtiments moches où il est interdit de fumer et où il n'y a même pas de papillon ?

sympathique récit

Un vrai moment de plaisir !
Merci Evariste !!!

Je suis un "fan" inconditionnel, et ca c'est rare!
Merci ami..

Merci Evariste
Alors je vais essayé de lever un peu le mystère
Le second tabac est du Trout stream(pêche à la mouche). Tabac créer par Russ Ouelette pour Hearth & Home et qui à l'origine est un mélange de cavendish, black cavendish , aromatisé  au sirop d'érable (voir revue ici ou là. A l'heure actuelle il est distribué chez Pipes & cigares sous l'appellation  bulk-blend-trout-stream ou bien chez notre ami du Vermont et distribué en bulk sous sa marque.( j'avoue :oups:je ne m'en lasse pas)

le 1 est une base de  virginie, de turkish,  de black cavendish et  de vanilla cavendish et une pincé de perique. La préparation est un peu compliquée. Est ce que cela correspond à ton ressenti?

Mis à part la menthe (même si j'en décèle souvent dans les orientaux...?) et l'espèce d'amande industrielle qui n'existe pas (une combinaison de la vanille et de l'oriental ?), ça correspond pas mal

En tout cas, à l'aveugle je l'ai trouvé meilleur que l'autre et plus intéressant, quoiqu'un peu bordélique.

- Bucolique  Garonne !  ....1 vison pas une loutre
pour le tabac ?. Au fait qui a connu le Tabac Ropp ds. les années 80 une pochette noire avec 'Ropp" en doré dessus ..1 bon tabac de coupe très large  avec des brins de tabac noir dedans ...

Grand merci pour ce récit des plus agréable à lire !  

Hilldunh a écrit:- Bucolique  Garonne !  ....1 vison pas une loutre

Oui ! Je ne connais rien aux bestioles, je confondrais un éléphant et un phasme ; c'est bien un vison. 

Je note : une petite loutre s'appelle un vison 


Défi : un éléphant est caché dans cette image, sauras-tu le trouver ?  

Un bon moment d'évasion,c'est tout le charme et le talent d'Évariste qui sait prendre le chemin des écoliers et sait nous raconter l'essentiel au détour d'un papillon et de l'envol des oiseaux effrayés par un épouvantail....Pas facile de goûter un tabac "a l'aveugle" et de définir sa composition, d'autant que chacun à sa propre perception du ressenti des goûts,mais l'essentiel reste à le définir et notre ami Évariste sait y faire.

Merci pour cette revue originale,ainsi qu'à Gonzague qui a donné la une belle occasion de te lire.

Évariste a écrit:

Hilldunh a écrit:- Bucolique  Garonne !  ....1 vison pas une loutre

Oui ! Je ne connais rien aux bestioles, je confondrais un éléphant et un phasme ; c'est bien un vison. 

Je note : une petite loutre s'appelle un vison 


Défi : un éléphant est caché dans cette image, sauras-tu le trouver ?  

Un éléphant ça trompe énormément !!!!

- Trés rare les loutres sur la Garonne ou alors ds. le Comminges, tiens 1 peu de zic pour toulousain urbain: il y a aussi zebda mais bon le Rap..

- Ou bien :

Joli récit, Evariste comme à son habitude secoue le cocotier et ça fait du bien

Tout comme les autres j'ai dégusté avec beaucoup de plaisir ce sympathique récit.  et merci, Evariste!

@Évariste : comme souvent, jolie prose, vivante et tout 
Par contre, je te laisse les deux tabacs, et l'entreprise aussi !

_ test N° 1 est un mélange perso. Assez compliqué à réaliser mais amusant et qui demande de la patience:
soit en proportion 300 de virginie long cut de Peter Stokkebye , 120 de turkish de Peter Stokkebye, 120 de black cavendish( BCA de Lane) et 60g de vanilla cavendish de Mc Clelland
et une pincé de perique de Mc Clelland.(j'en ai préparé environ 590gr) le tout macéré un bon mois dans un pot hermétique. 


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Mais cela ne s'arrête pas là; dans un faitout qui va au four, j'y ai mis une écuelle avec un bon verre de rhum additionné de miel et de deux à trois goutes d'extrait de vanille bourbon. j'ai recouvert cette coupelle par une petite gamelle pour évité que le tabac soit en contact avec le liquide et j'ai déposé mon tabac donc par dessus. Pour finir j'ai couvert cette cocotte avec un couvercle enduit d'une pâte de farine et d'eau pour rendre le tout hermétique et zou 6h au four à 70°.


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Une fois cuit j'ai mis mon tabac sous presse durant deux jours et voici le résultat;Un lien ou j'avais expliqué ma methode ICI




Agrandir cette image 
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Une bonne petite cuisine.

C'est pourquoi Evariste n'a pas eu de mal à émietter ce flake.
Au goût je le trouve un peut sucré dans le premier registre et évolue vers le terreux en fin de bol, l'acreté je ne l'ai pas décelé mais peut etre que je ne suis pas objectif. Par-contre lors de mes précédents tests j'avais, non pas cuit à l'etouffé avec du rhum mais simplement pulvérisé le rhum sur le tabac. Cela avait pour conséquences de donner une certaine amertume désagréable au fumage.
Dans l'ensemble c'est un mélange agréable, doux, avec une room note discrète et chose curieuse que j'ai du mal à expliquer, c'est la facilité avec laquelle il se consume: en effet malgré le coté moyennement humide et gras du tabac,  lorsque je l'ai allumé, je n'ai pas eu à le faire une deuxième fois.

Impressionnant !

C'est sympa de nous faire profiter de la recette (même si perso je ne peux pas l'utiliser; je n'ai aucun des tabacs nécessaires à sa préparation).

Pour infos, les tabacs m'ont été rapporté des US par un ami qui y a fait un petit séjour.

On a vraiment un blendeur de choc dans l'équipe !
Et comme d'habitude aussi un conteur de choc !

GA a eu la gentillesse de se prêter au jeu et voici sa réponse:
Pour le N°1
"Je ressens du Virginia/Cavendish mais je peux me tromper d'autant que je sens bien autre chose sans l'identifier.

A l'odeur je sens comme de la vanille,canelle,ce qui me fait penser a du pain d'épice,peut être grillé ?

Très légèrement humide,j'égraine bien le tabac et je bourre ma pipe,j'allume,je tasse et remet un coup de briquet,c'est parti pour 47 minutes sans rallumer,on ne peut pas en dire autant pour d'autres tabacs.

Pour le goût de la fumée en bouche,je ressens moins la vanille mais toujours la canelle,ce n'est pas boisé mais plutôt épicé bien dosé (sans pour autant trouver de quoi il s'agit)

La consumation est régulière,mais je fume relativement rapidement et ne garde pas les cendres,conservant un foyer toujours vif.

Le room note est superbe et parfumé et se dissipe assez rapidement."

Pour le N°2(trout stream)
"Je ressens sans en être convaincu du Burley/Kentucky,ce qui me perturbe c'est l'odeur du tabac et de la fumée ou je n'arrive pas à définir les parfums,pas épicé mais plutôt sucré avec en cherchant noisette/caramel et un léger goût d'alcool,cela me fait penser à un tabac aromatisé du style Semois.

Malgré une légère humidité,39 mm de fumage avec un ralLumage à mi bol pour une très bonne consumation ou le fond de la pipe a vue la cendre.

Le room note n'est pas désagréable non plus et se dissipe assez rapidement.

...j'ai trouvé la fumée sèche,non grasse et un bon apport en nicotine.

Ma conclusion : c'est également un bon tabac mais ma préférence va nettement au test n° 1 ou je me suis plus régalé."



Pour quelqu'un qui ne goûte pas, qui dit ne pas être style sommelier j'aimerais bien etre conseiller de la même façon dans un restaurant.